Mon avis sur Bullshit Jobs

Je l’ai enfin fini !

C’était long, j’ai dû m’accrocher, mais je pense que cela en valait le coup. Laissez-moi vous raconter mon point de vue sur ce livre au sujet révoltant : les jobs à la con.

Bullshit Jobs, David Graeber

Les jobs à la con

Le livre Bullshit Jobs nous vient de David Graeber, un anthropologue britannique et, il est important de la noter, anarchiste. Il fait suite à un premier article qu’il avait publié vers 2013 au sujet de jobs à la con. Il critiquait le fait qu’une majorité de jobs actuels semblent n’avoir absolument aucun intérêt et aucune valeur, et paradoxalement sont les jobs les mieux rémunérés et sur lesquels on concentre toutes les louanges.

Ce premier article a ensuite été repris par quelques grands magazines autour du monde, il a suscité beaucoup de réactions et de réponses. David Graeber a pu alors collecter de nombreux avis sur la question et aussi de nombreux témoignages de personnes racontant leurs déboires dans des jobs à la con.

Ainsi ce livre Bullshit Jobs est à la fois une sorte d’étude anthropologique du comportement des personnes dans des jobs à la con, une étude du comportement des sociétés par rapport aux jobs à la con, et enfin un grand essai politique sur la place du travail dans notre société moderne.

Peut-être voulez-vous un exemple de job à la con ?

David Graeber définit le job à la con comme “une forme d’emploi rémunéré, qui est si totalement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence“. Ainsi l’exemple de Kurt, employé par le sous-traitant d’un sous-traitant d’un sous-traitant de l’armée allemande, en introduction est très parlant :

“Imaginons que le soldat A ait besoin de déménager dans un bureau deux portes plus loin, au bout du couloir. Au lieu d’y aller directement avec son ordinateur sous le bras, il doit remplir un formulaire. Le sous-traitant informatique reçoit le formulaire. Il y a des gens qui le lisent et le valident, puis le font suivre à la société de logistique. Il faut que celle-ci approuve le déplacement au bout du couloir, après quoi elle nous réclame du personnel. Les gens de ma boîte qui bossent dans les bureaux font ce qu’ils ont à faire, et c’est là que j’entre en scène.

Je reçois un mail qui me dit: va à la caserne B pour telle heure. En règle générale, ces casernes sont éloignées de chez moi – entre 100 et 500km -, donc je dois louer une voiture. Je prends la voiture, je me rends à la caserne en question, j’informe le centre de régulation que je suis en place, je remplis un formulaire, je déconnecte l’ordinateur, je l’emballe dans un carton bien fermé et je demande à un gars de la logistique de l’emporter dans le bureau d’à côté. Là, je déballe le carton, je remplis un autre formulaire, je reconnecte l’ordinateur, j’appelle la régul’ avec tous les documents, et je reçois ma paye.

Donc plutôt que de laisser le soldat porter son ordi sur 5 mètres, deux personnes font entre six et dix heures de route au total, remplissent une quinzaine de pages de paperasse et gaspillent au bas mot 400 euros de l’argent des contribuables.”

Un exemple plutôt risible, non ?

Pourquoi je recommande ce livre

C’est le premier livre que je lis qui porte intégralement sur le sujet du travail, encore plus sur un aspect du mal-être au travail. J’avoue que cette idée de job à la con ne m’a pas surprise, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai acheté ce livre. J’ai vécu plusieurs expériences en entreprise que j’ai moyennement appréciées tout simplement parce que j’avais constamment l’impression de me tourner les pouces.

Le plus dur était surtout de comprendre que peu importe à quel point je me donnais à fond pour avancer efficacement, non seulement mon travail n’était pas justement valorisé mais surtout cela pouvait être mal perçu. Je prenais potentiellement le travail d’un autre, je ne respectais pas les codes de l’entreprise et indirectement je montrais à mes collègues qu’ils n’en glandaient pas une. C’est tout du moins ce que j’ai ressenti des retours que j’ai eu. Mais justement, ce n’est qu’un ressenti, et j’ai appris à changer cette perception là. Désormais je suis bien heureux de ces expériences que j’ai eu.

Fort content de trouver quelqu’un qui parle de ce sujet, j’ai dévoré la première moitié du bouquin avec attention. David Graeber décrit avec brio cette atmosphère palpable et nocive que j’ai pu ressentir de “sous-productivité” et de censure. Il décrit notamment avec précision la situation que subissent les personnes dans ces situations de job à la con, leur sensation de vide, le regard des autres, la censure et le doute, et surtout le fait de ne pas savoir à qui parler tellement on pourrait croire qu’il s’agit d’une conspiration !

Les témoignages sont rapportés non sans un brin d’humour dont on peut facilement déterminer la nationalité.

De la distinction entre jobs un peu, beaucoup, ou purement et intégralement à la con

Paragraphe du chapitre 1, Bullshit Jobs

Les effets de ce type de travail sur la santé mentale et physique sont ce qui m’intéresse le plus. Les questions soulevées sur l’impact du travail dans notre vie et sur la moralité du travail sont abordées très rapidement.

La raison qui me fait croire que la majorité devrait lire ce livre est la suivante : il vous fait réfléchir sur votre travail, sur vos valeurs et sur l’aspect politique du travail dans notre société et dans nos vies. Croyez-moi, que vous soyez intéressés ou non par la politique, à la fin de ce livre vous aurez définitivement un avis sur la question du travail ! Tout simplement parce que le contenu en lui-même est très politisé.

Pourquoi je ne l’ai pas aimé

C’est là son plus gros (énorme) défaut : c’est un livre complètement défiguré par la vision politique de l’auteur. Peut-être que je le trouve défiguré tout simplement parce que je ne partage pas son avis sur beaucoup de points ? C’est possible. Mais dans tous les cas, on sent transpirer dans ces pages et sur tous les sujets une vision politique moite imposée à nous et qui vient tarir le raisonnement logique que devrait avoir un anthropologue.

Je suis un scientifique, et s’il y a une chose qui m’agace profondément, ce sont les personnes qui font passer un discours comme scientifique et logique quand ils viennent régurgiter leurs opinions au travers de généralisations, de fausses implications, de retournement et de persuasions aussi peu subtiles que simplistes. Tout cela ne fait que traduire un manque évident de pratique avec les éléments basiques de la logique, ou alors une manipulation très grossière.

L’approche anthropologique d’une généralisation sur une base de témoignages est forcément biaisée par les témoignages en question (les personnes ayant répondu de leur plein gré partagent évidemment des traits qui ne représentent pas la majorité), c’est un fait. Mais ce n’est pas nécessairement un problème tant que l’on y fait allusion.

Ici, pas d’astérisque en bas de page. Toutes les opinions sur la valeur du travail, la robotisation des emplois, la politique capitaliste, toutes sont offertes comme une vérité absolue et découlant d’une logique imparable puisque “vous voyez, lui aussi il l’a dit”, quand il ne s’agit pas simplement de paraphrase et de détournement de propos.

Alors je ne partage pas du tout sa vision du monde, du travail et de sa valeur personnelle. J’ignore si c’est une raison pertinente pour ne pas vous le recommander. En tout cas je vous mets en garde, lisez-le avec discernement.

En résumé

Aussi peu honnête que ce livre soit, il m’a fait réagir et affirmer ma vision sur beaucoup d’aspects du travail, j’ai découvert des questions que je ne m’étais pas posé sur l’impact du travail sur la santé mentale notamment et sur l’origine de la valeur que l’on lui donne. Cela m’a permis enfin d’avoir un point de vue complètement différent sur le travail en général, et également au travers de multiple témoignages des points de vue qui me permettent de comprendre un peu mieux l’état d’esprit français, ou du moins l’image que j’en ai.

Si le travail et ce qu’il représente est un sujet qui vous intéresse, je vous recommande de lire ce livre, mais attention n’oubliez pas vos gants. Si ce n’est pas un sujet extrêmement pertinent, je vous recommande de vous éviter un agacement inutile.

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