Je m’intéresse souvent au sujet de l’investissement dans mes articles, dans des projets ou dans l’immobilier, la bourse, etc. Mais comment savoir si l’on doit investir ? Investir sur la valeur personnelle ou investir sur la rentabilité ?
Je vais répondre aux questions les plus basiques concernant l’investissement monétaire (de votre argent), et je m’adresse à tous les néophites qui veulent utiliser leur argent intelligemment, c’est-à-dire en connaissance de cause.
Vous avez un projet en vu et vous ne savez pas si vous devez investir ? Vous êtes entrepreneur et vous voulez savoir convaincre des investisseurs ? Cet article et ceux qui suiveront présentent l’essentiel des principes simples qui régissent la réflexion d’un investisseur.
👉 Je vous détaille en particulier une méthode d’évaluation qui est utilisée par les fonds d’investissement et les consultants pour la valorisation d’un business plan (d’une entreprise ou d’un projet). Vous pourrez donc vous rendre compte de la simplicité des modèles qu’ils utilisent !
La base : l’investissement dans un projet
Commençons par rappeler rapidement ce que veut dire investir dans un projet. Quand on parle d’investir, on sous-entend que ce n’est pas un don, il faut que le projet vous apporte quelque chose en retour. L’idée principale de la décision est de savoir si vous avez un gain à investir dans ce projet. Cela n’a pas à être de l’argent, et vous n’avez pas forcément à investir de l’argent.
On peut investir toutes sortes de ressources : de l’argent effectivement, du temps, des informations, un privilège ou un accès à une ressource spécifique, un bien, une réputation… Et l’on peut vous retourner également des choses tout aussi variées ! Mais pour l’heure, ce qui nous intéressera le plus sera effectivement le point de vue monétaire 💶.
Maintenant, pour évaluer le retour du projet il y a plusieurs questions à se poser : quel est le retour en montant, sous quelle forme, quand et surtout à quel niveau de risque ?
⚠️ C’est une notion fondamentale en investissement : le risque. Cependant en finance ce n’est pas une mauvaise chose, puisque le risque est quelque chose qui est aussi rémunéré, on aura tendance à avoir une relation neutre face au risque et simplement à regarder si le risque est bien rémunéré en moyenne et à diversifier nos investissements pour mitiger ce risque.
Les questions à se poser avant d’investir dans un projet sont finalement les suivantes :
- Quelle est la durée de mon investissement ?
- Quelle est la fiabilité du projet ?
- Comment mon investissement est-il rémunéré ?
- Comment financer cet investissement ?
Avec les trois premières questions nous pourront décider si le projet est rentable, avec la dernière nous déciderons si nous allons investir.
Évaluer un investissement
Il y a quelques concepts indispensables en investissement et qui ne sont pas très courants, nous allons en faire le tour pour pouvoir correctement juger de nos projets d’investissement.
# 1 la rationalité : en finance on considère grossièrement que tous le monde agit rationnellement, en tout cas c’est notre hypothèse de base. Ainsi par exemple on préférera investir sur un projet risqué plutôt qu’un projet moins risqué si la rémunération du risque est bien meilleure dans le premier cas. Vous vous en doutez, cette hypothèse a ses limites…
#2 le coût d’opportunité : lorsque vous investissez vous placez des ressources et vous les figer dans un projet. Pendant tout le temps du projet vous n’y avez plus accès, c’est ce qu’on appelle une immobilisation. Le problème c’est qu’en investissant sur ce projet vous vous empêchez peut-être d’investir juste après dans cet autre projet très rémunérateur, c’est donc un coût d’investissement que l’on appelle le coût d’opportunité, généralement difficile à évaluer.
#3 la valeur non monétaire : j’ai cité en introduction quelques formes que pouvait prendre la ressource à investir et la rémunération. Lorsque l’on évalue un projet on pense bien sûr à l’argent mais il faut prendre en compte toutes les formes de ressources qui entrent et sortent de cet investissement : faites en particulier attention à votre temps que l’on a souvent tendance à négliger dans les projets personnels, et à votre image par exemple.
Enfin j’aimerais revenir sur cette question du financement que l’on ne couvrira pas dans l’article. Doit-on avoir des ressources à investir avant de décider si l’on investit ou non ? La réponse vient de la facilité de trouver des financement : si vous n’avez aucun problème à réunir une certaine somme auprès de votre banquier ou d’autres partenaires, au-delà d’un certain montant vous aurez des difficultés à les convaincre et c’est normal. Cependant il ne faut pas vous limiter à ce que vous possédez déjà en poche, vous saurez trouver les ressources une fois la rentabilité du projet vérifiée (surtout en ce moment) !
La valeur temporelle de l’argent
Voilà un autre concept de l’investissement, certainement le plus difficile à comprendre mais aussi le plus important.
Imaginez la situation. Je suis votre banquier, très fiable, et je vous propose un deal : je vous donne 100€ maintenant ou 100€ à la fin de l’année. Vous êtes sûr d’avoir dans tous les cas les 100€. Que choisissez-vous ?
La majorité répondront la première option, à savoir obtenir l’argent tout de suite, et c’est la bonne réponse. La raison est qu’en les prenant tout de suite vous pouvez les utiliser tout de suite si vous le voulez, et pour le reste de la vie. Alors que dans l’autre option vous ne pouvez les utiliser qu’à partir d’un an. Cela vous rappelle un peu le concept de coût d’opportunité présenté plus haut.
Maintenant je (votre banquier) vous pose une deuxième question. Je vous propose 100€ tout de suite, et je vous demande quel est le montant minimum à partir duquel vous accepteriez d’être payé que dans un an ? Donc au lieu d’avoir 100€ maintenant ou 100€ dans un an, vous aurez 100€ maintenant ou 100 + x € dans un an. Combien vaut x pour vous ?
Il n’y a pas de bonne réponse, ce x correspond à ce que l’on appelle la valeur temporelle de l’argent (TIme Value of Money). Certains vous diront 5€, d’autres 12€, d’autres un peu à côté de la plaque vous diront 300€. Pour se rendre compte de la valeur de notre réponse, on peut la transcrire en terme de taux d’intérêt annuel. 100 + x € dans un an c’est litéralement x% d’intérêt annuel sur notre option de 100€ tout de suite. Vous pensez que la banque vous ferait un livret au taux de 200% ?!
On en vient donc à la notion la plus importante de discounted rate (taux d’actualisation) : pour évaluer votre investissement, vous allez comptabiliser toutes les rémunération monétaire et leurs dates dans le futur et vous allez calculer le taux d’intérêt annuel équivalent que cela représente pour arriver à la fin. Sous Excel vous avez une fonction dédiée qui s’appelle TRI (Taux de rentabilité interne).
Voilà un exemple avec les entrées et sorties de cash sur différentes années. Les chiffres entre parenthèses représentent des chiffres négatifs, c’est une écriture comptable.

On peut voir sur la première ligne que nous investissons 5000€ au départ dans du matériel par exemple, que nous gagnons de l’argent régulièrement pour un travail, et que nous revendons le matériel pour 3000€ dans 5 ans. Au total, si l’on somme ces entrées et sorties d’argent (cash-flows en anglais) on trouve 150€ de gain en 5 ans, c’est déjà pas terrible pour le travail effectué.
Maintenant si l’on prend en compte un taux d’actualisation de 7% par an, un taux qui prend compte de la valeur temporelle de l’argent et du risque du projet, alors on obtient un bilan négatif et nous perdons plus de 1000€ ! Et encore, c’est si nous arrivons effectivement à suivre le plan !
Indication : la valeur du cash à l’année 0 (ligne 2) correspond à la valeur du cash-flow de la ligne du dessus actualisé à l’année zéro avec un taux d’intérêt de 7% par an, donc dans l’autre sens un taux d’actualisation (Discounted rate) à 7% par an.
Le TRI (IRR en anglais pour Internal Rate of Return) a ici une valeur très faible (0.72%), on constate donc directement que notre investissement n’est pas rentable. Quel devrait être sa valeur pour considérer que l’investissement est rentable ? Voyons cela dans la suite.
Estimer la rentabilité d’un projet avec 3 valeurs
On a vu dans l’exemple précédent que le TRI (taux de rentabilité interne) permettait de se rendre compte de la valeur temporelle de l’argent dans notre projet.
Il y a deux autres grandeurs qui peuvent nous être utiles et qui correspondent plus au moins à la même information sur la rentabilité : la Net Present Value (NPV ou valeur actuelle nette) et le Discounted Payback (DPB ou la période de récupération actualisée). Détaillons-les rapidement.
La valeur actuelle nette, nous l’avons déjà calculée, il s’agit de la somme des cash-flows actualisés (discounted cash-flows en anglais). Elle représente donc la valeur actuelle au temps 0 de toutes les entrées et sorties du projet, en somme elle représente la valeur du projet en gain actualisé. Pour notre exemple elle valait -1088€, donc un projet qui nous fait perdre de l’argent !
👉 Note : En réalité c’est un peu plus subtil que cela, puisque la valeur actualisée utilise le taux d’actualisation (encore lui) qui prend compte du risque, on peut avoir une NPV négative simplement parce que notre hypothèse de risque était trop grande, ce qui peut être le cas ici. Mais nous reviendrons sur cette notion du risque dans un prochain article.
Pour rappel, afin de calculer la NPV nous avons besoin des valeurs de cash-flows actualisés à l’année 0 (on les appelle les discounted cash-flows, d’où le nom de la méthode) qui utilisent le taux d’actualisation. Mais d’où vient ce taux d’actualisation ? Considérez que c’est une donnée puisqu’il est assez complexe à estimer. Vous pouvez vous donner des ordres de grandeur avec un taux de 2,5% pour un projet sans risque par exemple et qui peut monter jusqu’à 20% pour un projet risqué, voir même au-delà.
Le DPB est litéralement la durée avant remboursement de son investissement. Dans notre exemple précédent comme la NPV est négative (on perd de l’argent), le DPB n’existe pas puisqu’on ne rembourse jamais notre investissement, il n’y a aucun gain. Modifions un peu notre exemple précédent pour avoir une NPV positive.

Ici notre NPV est positive (107€), on va donc bien rembourser notre investissement. Le Discounted Payback est la date à laquelle la valeur actualisée du projet vaut 0. Pour la calculer on regarde la somme cumulée des cash-flows actualisés (discounted cash-flows ligne 2) et on construit ainsi la dernière ligne. Les deux cellules colorées montre la transition entre une année négative et positive, il faut donc un peu plus de 4 ans pour rembourser notre investissement. Pour calculer la date exacte, on fait le rapport entre la somme qu’il reste à rembourser (2602€ en valeur actuelle) et le cash-flow actualisé de l’année d’après (2709€) que l’on multiplie par 12 pour avoir un mois ou par 365 pour avoir un jour de l’année. Ici on ne rembourse notre investissement que le dernier mois.
⚠️ Pour plus de subtilité, on ne remboursera pas en vérité notre investissement le dernier mois, puisque le dernier cash-flow correspond à la revente de matériel et que c’est un acte instantané qui nous fera passé en positif, mais c’est la position de la date fictive qui nous donne une information sur la rentabilité espérée.
Comment évalue-t-on la rentabilité du projet avec ces trois grandeurs ?
C’est très simple une fois qu’on les a calculées. La NPV (Valeur actuelle nette) doit être positive si l’on a une bonne hypothèse de taux d’actualisation. Le TRI (ou IRR, taux de rentabilité interne) doit être supérieur au taux d’actualisation estimé. Enfin le DPB (période de récupération actualisée) doit être inférieur à la durée de l’investissement (ce qui est toujours le cas si NPV est positive).
Maintenant pour juger de la rentabilité, il faut que ces grandeurs soient au dessus de leur seuil. Plus la NPV est grande, plus le TRI est grand et plus le DPB est proche, plus votre investissement sera rentable.
Les limites
Cette méthode que l’on a présentée pour estimer la rentabilité d’un projet s’appelle la méthode des discounted cash-flows (le nom va finir par rentrer !). Elle est utilisée par les fonds d’investissement et les consultants car c’est essentiellement la seule méthode systématique que l’on ai pour valoriser un projet.
Cependant on se rend vite compte de la simplicité dangereuse de cette méthode qui se cache dans ses hypothèses. Toutes nos métriques de rentabilité (NPB, IRR, DPB) se base sur la valeur du taux d’actualisation (discounted rate) qui reste jusqu’ici mystérieux.
Ce taux est difficile à estimer puisqu’il prend compte de la valeur temporelle de l’argent sans risque (taux sans risque) et d’un prix du risque (Risk Premium) dans lequel s’inscrit beaucoup de choses. Toutes les valeurs de cash-flow sont ici des valeurs espérées, on n’est pas sûr d’effectivement les voir un jour. Imaginez qu’une pandémie survienne et que le projet soit contraint d’être abandonné… C’est justement ce qui doit rentrer dans le prix du risque du taux d’actualisation, vous comprenez maintenant qu’aucune méthode n’est fiable à 100% pour la rentabilité, il y aura toujours une part de risque dans l’investissement et peu de monde avait anticipé une pandémie dans le calcul de leur taux d’actualisation.
Nous verrons dans un prochain article comment gérer ce risque.
Le lexique
Vous avez appris dans cet article tous les concepts de base pour la valorisation et le financement de projets. Faisons le tour du lexique pour qu’il reste bien ancré dans votre mémoire :
- Le cash-flow est une entrée ou une sortie de d’argent liquide (un flux de cash littéralement)
- Le discounted rate est le taux d’actualisation, c’est-à-dire le taux de croissance de la valeur monétaire du projet liée à la valeur temporelle de l’argent et au risque du projet
- Les discounted cash-flows sont les cash-flows actualisés à l’année zéro grâce au taux d’actualisation
- La NPV pour Net Present Value ou Valeur Actuelle Nette est la valeur actualisé à l’année zéro de tout le projet
- Le TRI pour Taux de Rentabilité Interne ou Internal Rate of Return (IRR) est le taux équivalent de croissance du capital investit avec le projet, en utilisant les cash-flows estimés
- Enfin le DPB pour Discounted Payback ou période de récupération actualisée mesure le temps pour que votre investissement de départ soit remboursé